9 novembre 2014, Juin 2020
« Il n’y a qu’un problème, un seul de par le monde. Rendre aux hommes une signification spirituelle, des inquiétudes spirituelles, faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. On ne peut vivre de frigidaires, de politique, de bilans et de mots croisés, voyez-vous ! On ne peut plus vivre sans poésie, couleur ni amour ». St Exupéry[1]
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Ce début de ce vingt-et-unième siècle est marqué par un formidable défi : celui du réchauffement climatique et de ses conséquences potentiellement dramatiques sur la suite de la présence humaine sur terre 2.
Après de longues tergiversations sur les causes (naturelles ou humaines) du problème, un consensus se dégage : les activités humaines sont à la source de cet état de fait. C’est principalement l’utilisation des énergies fossiles et leur dégagement de CO2 qui entraine le dérèglement du système climatique et la fragilisation de l’habitabilité de la terre.
Comment s’en sortir, comment diminuer notre « empreinte écologique[3] »
La voie technique (le développement durable) pense pouvoir y parvenir (énergies renouvelables, fusion nucléaire, captation du CO, etc. Il faut du temps, disent-ils. On reste dans la logique actuelle du néolibéralisme.
La voie politique est dans une position de faiblesse, les états sont nationaux, le problème international. Les pays émergeants veulent accéder aux mêmes standards de vie que les occidentaux (peut-on les blâmer, alors que la consommation des EU et de l’Europe est déjà trop haute par rapport aux possibilités de notre planète ?[4])
La voie morale (ou éthique), à savoir la description des dangers (le catastrophisme[5]) et l’invitation à les éviter en changeant de comportement est en difficulté. Elle est reçue comme culpabilisante, plombante, etc.. et globalement refusée par tous…
Que faire alors ?
La question plus justement posée serait plutôt : qu’être, puisque c’est dans l’être (non pas le concept philosophique d’« être » mais simplement le contraire d’avoir) . Et se poser la question de savoir pourquoi sommes-nous dans cette fringale de consommation, pourquoi avons-nous sans cesse besoin d’accumuler, d’amonceler, de remplir nos vies avec des objets ? Pourquoi notre vie se situe-t-elle un bref instant entre « Ikea » et la déchetterie ? ou « produire-consommer-jeter ». Qu’est ce qui fait que nous réagissons quasi tous de cette manière ?
Qu’est ce qui fait que notre monde occidental a tant besoin de consommer, de dépenser, de gaspiller ? de trouver à l’extérieur de lui même, dans l’avoir, une espérance, une consolation, une sécurité et une assurance ?
La question est complexe, et parmi toute les causes, j’en isole une, une seule. Une qui apporte un éclairage étonnant pour notre problématique :
C’est la mauvaise image que nous avons de nous-même qui est à la racine de tout. C’est notre impression de ne pas suffire, de ne pas être assez bon, de ne pas être « assez » qui nous pousse à trouver en dehors de nous, dans l’avoir, dans la possession d’objets, ce qui est sensé nous apporter le bonheur.
Si, voici 500 ans, du temps de Luther, la question était de savoir où trouver un Dieu qui me soit favorable ? la question d’aujourd’hui, dans un monde terriblement exigeant, est de savoir où trouver le secret de me sentir suffisant, de me sentir acceptable, d’avoir une bonne image de moi ?[6]
Et la réponse de notre société est : consommer, accumulez, remplissez vos armoires vos garages, vos résidences secondaires et si vous n’avez pas assez de place, louez donc des boxes dans les dépôts qui s’ouvrent de plus en plus…
La publicité (qui est fer de lance de notre mode de vie) s’appuye presque entièrement sur la « mauvaise » image que nous avons de nous pour nous faire consommer : « Si vous possédez cette robe, vous serez belle comme cette actrice ». « Si vous achetez cette voiture, vous serez enfin satisfaits de vous devant vos copains ». « Si vous buvez ce café ! aahh, George… » Et, comble de perversité, la publicité renforce cette (mauvaise) image parce que jamais on ne sera comme ces perfections (retravaillées) qu’on nous donne en soi-disant modèle. C‘est un cercle vicieux, qui crée une dépendance, une addiction même[7] .
Jamais quoi que ce soit de matériel ne viendra combler un désir. Aucune satisfaction de nos besoins ne viendra assouvir notre désir !
Car notre désir et plus grand que tout ce qui pourait le combler… et c’est sur ce iatus, cette méprise entre besoin et désir[8] que réside le fonctionnement de notre société. On croit qu’avec des choses on sera heureux. On croit qu’en ayant, en paraissant, on trouvera le bonheur, alors que c’est dans l’être que réside ce que l’on cherche.
Une question spirituelle.
La question est dès lors de chercher à savoir comment faire pour être ? Pour vivre dans l’être.
Comment trouver une paix, une confiance, une sécurité intérieure ? C’est là que la spiritualité intervient : la vie intérieure, la pratique religieuse, la piété, appelons-la comme nous voulons. Et les traditions religieuses, quelles qu’elles soient sont pleines de trésors à puiser, à vivre et à révéler au monde.
Il y a ici matière à écrire un livre entier sur cette question. Je me contenterai ici de décrire et d’illustrer un peu les effets écologiques des pratiques spirituelles d’un point de général (anthropologique), et de chaque fois les illustrer par une citation biblique
D’abord, quand on prie ou on chante ou on médite, on n’est pas en train de consommer des tonnes d’énergie (à part le chauffage en hiver !) Matthieu 6.6 Quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dansle lieu secret (…)
Quand on se concentre sur soi, sur son intériorité, on ne va pas aller au bout du monde simplement parce que le billet d’avion est bon marché (Psaume 139,7-9, « où fuirai-je loin de ta face ? »
Quand on cherche à manger une nourriture saine, de proximité et de saison parce qu’on respecte son corps et qu’on prend un moment avant de manger pour penser à ce qu’on fait et dire merci. Marc 14.22 Pendant qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le leur donna (…)
Quand on porte un regard émerveillé sur la création, cela suscite (ou devrait susciter) un respect profond. Job 12,7-9 interroge donc les animaux sauvages, ils t’instruiront, et les oiseaux du ciel, ils te renseigneront. Ou bien parle à la terre, et elle t’instruira, les poissons de la mer pourront t’en informer. Oui, parmi tous ceux-ci, lequel ignorerait que c’est Dieu qui a fait cela?
Ce ne sont pas les camions de tomates qui font mille kilomètres qui vont gagner de l’argent avec nous.
Quand on a conscience de sa propre finitude, et que l’on fait confiance à Dieu, on est moins saisis par l’ubris, la démesure… « small is beautifull ». L’histoire des greniers de luc 12 /16-21 Et il leur dit cette parabole: Les terres d’un homme riche avaient beaucoup rapporté. Et il raisonnait en lui-même, disant: Que ferai-je? car je n’ai pas de place pour serrer ma récolte. Voici, dit-il, ce que je ferai: j’abattrai mes greniers, j’en bâtirai de plus grands, j’y amasserai toute ma récolte et tous mes biens; et je dirai à mon âme: Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années; repose-toi, mange, bois, et réjouis-toi. Mais Dieu lui dit: Insensé! cette nuit même ton âme te sera redemandée; et ce que tu as préparé, pour qui cela sera-t-il?
Quand on sait que le bonheur ne va pas venir de l’extérieur on va moins aller le chercher Luc 9, 25 Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la sauvera. Et que servirait-il à un homme de gagner tout le monde, s’il se détruisait ou se perdait lui-même?
Quand on a confiance que Psaume 31.15, Mes destinées sont dans ta main ou Esaïe 30.15 C’est dans la tranquillité et le repos que sera votre salut, c’est dans le calme et la confiance que sera votre force. On a moins besoin de sécuriser sa propre vie…
Ca paraît futile, tout cela dérisoire, et pourtant non. C’est la fameuse histoire du colibri de Pierre Rahbi[9], ou de la goutte d’eau dans l’Océan.
Il y a dans la vie spirituelle, dans l’intériorité, dans l’être, le chemin de la vie juste.
Il y a dans la confiance en Dieu une assurance bien plus grande que dans n’importe quoi d’autre.
S’enraciner en Dieu, de placer sous son regard, méditer, chanter, louer, prier…
Tout cela fera baisser drastiquement nos bilans carbone.
Cela nous permettra de penser à autre chose et s’engager.
Et ce sera un signe.
On en a besoin.
[1] Lettre au Général X, dernière lettre, écrite la veille de sa mort, par Antoine de Saint-Exupéry. Elle date de 1944 !
[2] Cette contribution trouve son origine dans une prédication donnée à la cathédrale de Lausanne le 5 octobre 2014 dans le cadre du dixième anniversaire des célébrations de la Parole organisées par la CECCV (Communauté des Eglises chrétiennes dans le canton de Vaud). D’où sa tonalité orale et accessible.
[3] L’empreinte écologique est le poids de CO2 que nous envoyons dans l’atmosphère.
[4] C’est la fameuse question de savoir combien de planète avons nous besoin pour fournir l’énergie, la nourriture et les métaux nécessaires à notre consommation : les français, 2,5 ; les Etats uniens 5 ! http://fr.wikipedia.org/wiki/Empreinte_écologique
[5] Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain de Jean-Pierre Dupuy, Seuil, 2002
[6] C’est en fait la même question !
[7] Comme nous le montre si bien le professeur Jacques Besson dans ses interventions,