
Les raisons invoquées par nos autorités justifient la distanciation physique en vue d’éviter l’engorgement des hôpitaux et de stopper l’avancée du virus en attendant un vaccin. Ce sont bien sûr des arguments valables surtout en pensant aux personnels hospitaliers fortement sollicités et pas suffisamment reconnus. Mais aussi parce que l’on sait très peu de choses sur ce virus et que la seule parade possible actuellement semble être de freiner les contacts entre humains… Tout cela, répétons-le est éminemment respectable.
Or on sait aussi (même si c’est plus difficile à entendre) qu’il faut faire une juste pesée d’intérêt entre santé et économie. Ce ralentissement puissant occasionne des dégâts considérables pour de nombreux acteurs : indépendants, monde culturel, restaurateurs et peut-être finalement tout le système économique si les choses devaient durer encore longtemps. Si la biosphère peut se féliciter d’une telle chute des activités humaines, les humains que nous sommes (notamment les plus pauvres) ont tout à craindre. Pesée d’intérêt difficile donc : combien de drames, de souffrances et de morts ? et de quels côtés si on peut dire.
Or ce qui se joue est-il vraiment seulement question de santé physique et d’économie ? Le virus est là et il sera toujours là, et nos atteintes au climat et à la biodiversité font qu’il y en aura d’autres… L’efficacité du vaccin à venir est à souhaiter et demande de la patience. Ne serait-il pas temps de reconsidérer nos valeurs et convictions, de repenser à ce qui nous fait vivre ? La vie humaine est-elle un droit absolu et infini ? Les sciences et techniques sont-elles le seul recours ? N’y a-t-il pas des valeurs spirituelles à retrouver ou à faire émerger : la conscience de notre finitude, de notre fragilité, de notre mortalité, le fait que, même s’il le voudrait bien, l’homme n’est pas Dieu, que le visible n’épuise pas le réel, que la vie est un don et que ce tout qui a commencé finira ?
Depuis les années cinquante du siècle précédent nous sommes entrés dans un déni tenace de la mort, ne serait-il pas intéressant et utile pour chacun de commencer à l’intégrer et à charpenter notre être intérieur, de retrouver du sens, un sens profond, un sens autre que celui de la consommation qui lui nous conduit à la mort, et de manière peut-être plus sûre que le corona virus et dans un délai hélas presque prévisible ?
Ces ouvertures sur un autre plan de l’existence ne doivent bien sûr pas nous dispenser d’observer les gestes barrières, suivre les directives des autorités ainsi que soutenir toutes les initiatives visant à des solutions. Mais n’est-il pas temps de se souvenir d’une parole fort ancienne : « l’homme ne vivra pas de pain seulement » ?
Virgile Rochat, pasteur, Lausanne.
Paru dans 24H, rubrique l’invité 23 novembre 2020